André Prone* Environnementaliste, Essayiste, Président du Conseil Scientifique du MNLE

Plus d’une chose m’a frappé dans la triste histoire de la pandémie au Covid 19 qui affecte le monde et la France depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois :

– L’inégale contamination des pays et le lien qui peut être fait entre l’ampleur de cette contamination et la mise en œuvre ou pas des divers moyens organisationnels : sanitaires, politiques, économiques et sociaux, dont disposent théoriquement les Etats,

– Les différentes stratégies utilisées par ces derniers et leur incapacité à anticiper la propagation de la crise sanitaire ou leur préférence à privilégier l’économie et les profits des multinationales et de la finance au détriment de la santé publique,

– Les conséquences dramatiques et visibles de la gestion comptable et très libérale des hôpitaux publics pouvant aller jusqu’à leur asphyxie, quand ce n’est pas purement et simplement leur fermeture (et cela touche tous les pays occidentaux),

– La course au profit du groupe anglais Novacyt et du géant chinois BGi Group (sur le marché ultra compétitif de la fabrication des tests de dépistage du Covid 19) et les promesses de l’expert français BioMérieux d’un test novateur dès fin mars 2020, ce qui n’empêche pas la pénurie bien réelle de kits d’extraction d’ARN (acide ribonucléique) indispensables à la production de ces tests,

– Les attaques de certains membres du gouvernement et autres acolytes à l’encontre d’un éminent virologue marseillais malgré ses essais cliniques encourageants sur le Covid 19 et dont les travaux très anciens sur l’association hydroxy chloroquine et l’Azithromycine pour combattre d’autres virus ont fait l’objet de publications scientifiques …

Mais parmi toutes ces questions, et d’autres encore, il en une qui me taraude et à laquelle je voudrais contribuer. Car vous aurez sans doute remarqué comme moi que beaucoup de médias, experts et autres politiques, évoquent certes, l’épineux problème du manque dramatiquement criant de masque pour les travailleurs et notamment pour le personnel soignant très exposé, mais aucun, à ma connaissance, ne pose la question de simple bon sens : mais pourquoi ?

Constater que « nos héros ne sont pas masqués » est certes utile, mais plus utile encore est de se demander pourquoi.

Après quelques recherches non aisées, je suis en mesure d’apporter quelques éléments de réponses qui ne grandissent pas nos gouvernants.

Disons tout d’abord que selon une enquête du Syndicat des professionnels de santé du 6 mars 2020, 78% des soignants déclarent manquer de masques FFP2, 63% de masques FFP1 et 53% de solutions hydroalcooliques (SHA). 

Si la pénurie de masques, comme le souligne l’entreprise Rives Médical de la région Occitanie, vient du fait que les grossistes se fournissent pour l’essentiel en Chine et que la chaîne est stoppée pour cause d’épidémie ; si des quotas interdisent aux pharmacies de commander plus d’une centaine de masques par semaine, alors pourquoi, sachant que l’épidémie du coronavirus frappe la Chine depuis début décembre, le ministre en charge de la santé a-t-il attendu fin février pour commander 200 millions de masques FFP2 ? Rappelons que l’OMS avait qualifié, dès le 30 janvier 2020, l’épidémie de Covid 19 d’« urgence de santé publique de portée internationale ». Outre le fait que la commande de ces millions de masques dépend pour l’essentiel du bon vouloir du groupe américain 3M (dont la priorité de fabrication pour répondre à la demande de Trump est plus que probable), banal serait sans doute, dans ce contexte de mondialisation capitaliste, de dire qu’en matière sanitaire, compter exclusivement sur la capacité de production des marchés privés est pour le moins risqué. Malheureusement, là ne s’arrête pas l’incurie du pouvoir.

Car une autre question doit être posée : Comment est-on passé d’un stock d’Etat de 723 millions de masques FFP2 et 1 milliard de masques chirurgicaux à la pénurie, alors que le Haut Conseil de la Santé Publique avait recommandé en 2011 une gestion tournante des stocks en raison de leur péremption et demandé qu’ils soient rapidement mobilisables pour couvrir les populations et le personnel soignant en situation de crise ?  Questionné à ce sujet le 19 mars à l’assemblée nationale, le ministre des solidarités et de la Santé a répondu : « Nous disposons d’un stock d’Etat d’environ 150 millions de masques chirurgicaux et d’aucun stock de masques FFP2. Il avait été décidé, suite aux crises sanitaires précédentes -2011-2013, qu’il n’y avait plus lieu de conserver des stocks massifs de masques dans le territoire ». L’absence de stocks, selon le ministre, serait due à des décisions passées.

Notons aussi que l’acquisition des masques chirurgicaux et FFP2 n’étant plus confié à l’Eprus (Etablissement public de préparation et de réponse aux urgences sanitaires créé en 2007), le Sénat, dans un rapport publié en 2015, a pu dire : « la constitution des masques FFP2 relève désormais des employeurs ».

Et ce n’est pas tout. La commande de masques plus que tardive de l’Etat est d’autant plus un défi que toutes les chaînes de fabrication sont tendues et que le principal fournisseur français, Kolmi-Hopen, (également sollicité) ne peut pas satisfaire la forte demande. Et pour cause. Dans ancienne édition du Courrier de l’Ouest, le 23-10-2014, on pouvait lire : « Saint-Barhélemy-d’Anjou. Le coup de gueule du patron de Kolmi-Hopen : Spécialisée dans la fabrication des masques chirugicaux et les « dispositifs médicaux » non-tissés à usage unique, la société Kolmi-Hopen, qui emploie 75 personnes à Saint-Barthélemy-d’Anjou, vient de perdre un gros marché avec les centres hospitaliers français. Son directeur général reproche à l’Etat de ne pas aider suffisamment les entreprises françaises face à la concurrence asiatique ». L’entreprise ne compte plus que 35 salariés. La boucle est bouclée.

Mise en danger de la population, des soignants et des travailleurs exposés, casse du service public hospitalier…, voilà les iniques décisions du capital et du pouvoir qui auront à rendre des comptes après cette pandémie que je souhaite la moins mauvaise à tous.

André Prone*
Environnementaliste, Essayiste,
Président du Conseil Scientifique du MNLE

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*Voir, entre autres ouvrages : « Pour une critique une critique de la marchandisation : Société, Santé, Environnement », l’Harmattan 2018

3 COMMENTAIRES

  1. Bonjour ces decisions montrent bien que la sante publique est geree comme un centre de depenses et que le seul critere de reussite et que les depenses de l’annee suivante soient ingerieures a l’annee precedente.

  2. Pour rebondir sur les stocks de masques le stock srategiques de ffp2 pourrait etre de 500 millions et 650 millions pour les chirurgicaux .Le seul cout serait le cout de possession du stock soit apptroximative ment 20 millions d’euros par an.

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